Jour 2

Quand nous fermons la boutique ce soir, un vent glacial me refroidit jusqu’aux os. J’ai beau porter des couches et des couches de vêtements, je grelotte quand même de froid. C’est sans doute pour cette raison que Caroline me propose de ne pas rentrer immédiatement à la maison, mais de nous arrêter pour boire un chocolat chaud. J’accepte sans même réfléchir. Je ne suis jamais contre le fait de passer plus de temps avec elle. 

Nous marchons côte à côte et nos mains se frôlent sans arrêt. Je fais mine de ne pas m’y intéresser, mais, en vérité, je n’attends qu’une seule chose ; c’est qu’elle attrape ma main froide. Quand elle glisse ses doigts entre les miens, je me détends complètement, et mes lèvres esquissent un grand sourire. 

— Tu as froid ? me demande-t-elle. 

— Oui. Le vent n’est pas très clément aujourd’hui. Mais ça va mieux depuis quelques secondes. 

Elle m’offre un de ces sourires qui me donne l’impression que nous avons changé de saisons et que nous sommes en été. Toute ma personne est réchauffée en apercevant son visage illuminé. 

Le café qu’elle choisit est très cliché, mais je n’en ai rien à faire. J’aime les guirlandes kitsch, les lumières jaunes des plafonniers et les odeurs de cannelle. C’est un endroit parfait pour oublier la froideur de l’hiver. 

Alors que nous nous installons, et que j’enlève mon bonnet — un cadeau de ma maman —, je sens mes cheveux se dresser sur ma tête. Ça arrache un rire à Caroline, qui les dompte d’un coup de main. 

— Tu es magnifique, me dit-elle. 

Comme à chaque fois qu’elle me fait un compliment, une toute petite partie de moi n’y croit pas. L’autre saute dans tous les sens à l’idée qu’elle m’ait choisi moi et qu’elle me trouve belle. C’est pour cette raison que je me mets à fixer mes gants, soudainement timide. 

— Tu ne t’es pas regardée, répliqué-je. 

Heureusement pour moi, c’est le moment où la serveuse débarque avec nos chocolats chauds fumants. Je me reporte sur ma grosse tasse rouge, et je relève les yeux vers Caroline. Ses deux mains, qui commencent à rougir du froid ambiant, sont glissées autour de la céramique. Ses joues sont de la même couleur. C’est adorable. 

— À notre deuxième jour, trinque-t-elle. 

— À toi, dis-je. Et tes superbes idées. 

Elle sourit, et elle prend une gorgée de son chocolat. Je l’imite, et nous continuons à nous regarder. Ça nous arrive assez souvent — surtout quand nous lisons côte à côte, plongées dans nos histoires. J’apprécie particulièrement ces moments, parce que je peux me complaire dans son observation, et détailler chaque chose qui l’entoure. Comme aujourd’hui, avec son échappe en laine miteuse, qu’elle trimballe pourtant partout avec elle. Les fibres se détachent une à une, et je sais qu’un beau jour, elle ne ressemblera plus à rien. Mais Caroline y semble attachée comme à la prunelle de ses yeux. 

— J’ai quelque chose pour toi, déclare-t-elle tout d’un coup. 

Sa tasse est contre la table, et elle fouille dans son sac. Elle déniche du papier de soie violet — celui que nous utilisons à la boutique. Il est rond. Je déchire l’emballage à toute vitesse, et je me retrouve avec une des boules de Noël que nous décorons nous-mêmes, avec des fleurs séchées et de la mousse. Celle-ci n’est pas en reste, puisqu’elle renferme quelques brins de bruyères. Mon cœur court dans ma poitrine face à ce geste. 

— Caroline, elle est magnifique… quand est-ce que tu as eu le temps de la fabriquer ? 

— J’ai triché. Je l’ai commencée hier, pendant que tu servais un client. Callahan m’a un petit peu aidée, d’ailleurs. J’avais envie que tu aies quelque chose de joli pour aujourd’hui. Comme toi. 

Je rougis comme une pivoine — c’est cette fleur qu’elle aurait dû utiliser, tant elle me correspond bien quand je suis avec elle. Je tourne la boule entre mes mains, pour l’observer sous toutes les coutures. Elle a été peinte avec un violet très clair, subtil clin d’œil à mes cheveux. 

— Si je comprends bien, tu vas me gâter tout le mois de décembre, c’est ça ? 

— C’est le concept d’un calendrier de l’avent, oui, glousse-t-elle. 

Je relève des yeux timides vers elle. Elle me fixe comme si j’étais la huitième merveille du monde, et ça me gêne encore plus. Parce que la huitième merveille du monde, c’est elle. 

— Merci. 

Je dépose précautionneusement la boule sur la table et je lui saisis les doigts. C’est elle qui fait le dernier mouvement pour lier nos mains. Elle ne prononce aucun mot, et nous terminons notre chocolat chaud ainsi. La lumière jaune, la sphère entre nous, et les quelques notes d’une chanson de Michel Bubblé. 

Je grave ce souvenir au fond de mon esprit, pour ne jamais l’oublier. 

Recent Comments

Leave a Comment