Jour 3

J’ai toujours pensé que choisir un sapin de Noël était une activité simple. Il suffit de s’arrêter dans une de ces boutiques de rues qui fleurissent un peu partout en ville, de comparer les conifères et d’en sélectionner un. Callahan a même accepté de nous prêter la camionnette de Digitaline — tout bêtement parce qu’il l’a aussi utilisée pour transporter son propre arbre. Ça devait être réglé en moins d’une demi-heure, montre en main.

C’est sans compter sur Caroline.

Tout d’abord, elle a insisté pour que l’on sorte de la ville et que l’on trouve une vraie ferme à sapins — ce qui n’est pas spécialement évident en Irlande. Nous avons fini par en repérer une, et nous y sommes. Et je ne reconnais pas ma copine.

Elle les examine tous. Elle tâte les branches, elle évalue leur forme, et elle ressemble à s’y méprendre à un architecte venant choisir la décoration de sa future maison. Souvent, elle se recule de quelques pas pour regarder sa victime, avant de froncer les sourcils et de passer au suivant. Bien entendu, chaque observation est agrémentée d’une remarque.

— Celui-ci est trop maigre, on a l’impression qu’il s’est fait rouler dessus par un trente-trois tonnes.

Puis, quelques minutes plus tard :

— Celui-là, au contraire, est bien trop fourni. Je sens que je vais me prendre ses branches à chaque fois que je passerai à côté de lui.

Moi, je la suis sans rien dire, un peu perdue. Ça me fait tout de même plaisir de la voir aussi investie dans notre décoration. Après tout, c’est notre premier Noël ensemble, et je ne savais pas vraiment ce qu’elle en pensait avant de m’embarquer dans tout ça.

— Lui. Il est parfait.

Elle s’est arrêtée devant un sapin, qui ne me semble pas bien différent des autres. Il est vert, il a des branches prêtes à accueillir des décorations, et son prix n’est pas exorbitant. J’évite de demander des explications à Caroline, au risque d’avoir droit à une dissertation sur les conifères. Je souris donc comme acceptation, et nous embarquons la bête.

C’est au moment de le charger que je me rends compte qu’il est grand. Vraiment très grand. Mais comme je n’ai jamais eu le compas dans l’œil, je me tais et je m’installe derrière le volant.

C’est quand nous arrivons devant notre appartement que je réalise mon erreur. Parce que définitivement, le sapin est immense. Ce qui n’est pas le cas de notre porte d’entrée.

— T’inquiète, il va passer, affirme Caroline, les deux mains sur les hanches, bien trop sûre d’elle.

— Il dépasse d’une vingtaine de centimètres. Au bas mot, dis-je, en tournant autour comme une mouche affolée.

— On devrait tenter en biais. Le biais, c’est toujours la solution.

Nous essayons de le pencher, les doigts embrochés par toutes les aiguilles qui tombent. Puis, nous le faisons pivoter, pour qu’il passe enfin cette fichue porte.

En vain.

Nous prenons donc nos ultimes forces, et nous mettons en route le mode dernière chance. Je tire dessus en grimaçant. Pendant ce temps, Caroline pousse derrière moi comme si sa vie dépendait de l’installation de ce sapin dans notre appartement.

Nous échouons, bien évidemment.

Nous sommes essoufflées, fatiguées, et couvertes d’aiguilles. Caroline est assise par terre, juste à côté du conifère récalcitrant, et elle est plongée dans ses pensées. Moi, je ne peux pas m’empêcher de la détailler. J’adore quand elle est comme ça ; ça lui arrive souvent à la boutique, alors qu’elle est en pleine création d’un nouveau bouquet. Ses sourcils froncés, son nez retroussé, et surtout ses superbes grimaces qu’elle croit invisibles. Elle est adorable, et encore une fois, je me sens chanceuse qu’elle soit aussi elle-même lorsqu’elle est avec moi. Ça veut dire qu’elle est en confiance.

— Heather ?

Je sors de mes pensées, alors que Caroline est à nouveau debout, époussetant ses vêtements. Elle est non loin de moi, penchée avec son air espiègle.

— Est-ce que tu m’as entendue ? reprend-elle.

— Non. Désolée. J’étais plongée dans ta contemplation. Tu es belle quand tu réfléchis.

Ses joues rosissent pour mon plus grand plaisir, mais elle fait comme si de rien n’était en balayant ses rougeurs d’un coup de main.

— Je crois que j’ai trouvé la solution, continue-t-elle. Est-ce que, par hasard, on aurait une petite scie dans notre boîte de bricolage ?

— Oui ! m’exclamé-je, trop heureuse d’entrevoir le bout du tunnel.

Je cours la chercher, et je la donne à Caroline. Elle s’accroupit vers le sapin, et elle se met au travail. Je ne sais pas ce qui est le plus ridicule : notre tentative de scier un tronc dans un espace minuscule et peu adapté, ou notre voisin de dessous qui ne supporte pas le bruit, et qui frappe au plafond, alors qu’il ne se gêne pas pour lancer de la musique à des heures pas possibles en pleine semaine.

Quand le sapin finit enfin par passer la porte, nous sommes couvertes d’aiguilles.

— Finalement, c’était peut-être ça la solution, déclaré-je. Aller nous rouler dans un tapis d’aiguilles, et faire un sapin vivant. C’est sûr que ça aurait été super original. Pas très pratique, mais unique.

Caroline me fixe comme si je venais de débarquer de Mars, puis elle a une réaction tout à fait proportionnée.

Elle éclate de rire.

Elle se tient le ventre, et des larmes perlent au coin de ses yeux. Moi, pendant ce temps, je l’observe avec un air béat, ne comprenant pas son hilarité — ce qui n’est pas la première fois.

— Je t’adore, termine-t-elle, enfin calmée.

Je suis prête à faire un esclandre, mais c’est sans compter sur le baiser sur la joue qu’elle m’offre. Tous mes sens se retournent, comme à chaque fois qu’elle me touche. Je reste coite, alors qu’elle s’est déjà tournée vers le sapin.

— Je le trouve encore plus beau maintenant, dit-elle.

Elle est face à notre arbre, les bras croisés sur sa poitrine. Son brushing de ce matin est complètement défait, et je crois que son pull a été troué par les assauts des branches de ce conifère de malheur. Je n’en ai rien à faire.

— Je suis d’accord avec toi. Ce que je vois est vraiment beau.

Elle se retourne vers moi, si bien qu’elle surprend mes joues rouges de pivoine perdue dans son champ. Elle se rapproche de moi, contente d’elle. Elle adore quand je me mets dans cet état-là. Elle pose ensuite sa tête contre mon épaule, son bras encercle ma taille. Son odeur est un mélange entre le citron et le sapin.

— Je crois bien que ce souvenir restera. Ce qui fait que le jour 3 de mon calendrier est validé.

Elle irradie dans la pièce, tant elle est heureuse. J’ai envie de prendre un peu de cette lumière et la placer en haut de notre arbre. Au lieu de ça, je réponds.

— En effet. C’est validé. Et gravé dans ma mémoire.

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